Antoine Cesari, sculpteur de matière

Comment es-tu devenu créateur ?

Je m’appelle Antoine Cesari. J’ai 51 ans dont 36 années passées comme soldat. Etant totalement novice et autodidacte dans le domaine artistique et pour cibler mon lien instinctif avec les objets, la matière et la lumière, je soulignerai uniquement certaines périodes charnières. Celles-ci ont vraisemblablement suscité cette nouvelle vocation et interviennent dans chacun de mes processus créatifs.

Quel est ton parcours ?

Dès l’enfance, après la disparition prématurée de mon père, j’ai développé un imaginaire solitaire et intemporel sensé réparer ce lien brisé. J’ai dès lors ressenti une attirance singulière pour la contemplation de la matière, des effets de la lumière, de leur interaction en variant angles et focales. Cette contemplation demeure toujours un passage ouvert dans l’incompréhension face à la mort.

Quelles sont tes principales matières d’inspiration ?

Adolescent, j’ai été façonné par les luminosités de mon village en Corse du sud. Au fil des saisons, l’intensité, les contours et ombres tranchés sur le granit ou le liège, les brumes écloses et les clairs obscurs désaltèrent l’angoisse.

Jeune homme, j’ai découvert certains tableaux poétiques comme ceux de Saint John Perse permettant de ralentir le temps. Ensuite, dans la maintenance des matériels militaires, j’ai été fasciné par la force des matières, des pièces mécaniques, leur beauté brute et “non esthétique“.

Dans les troupes alpines, j’ai été envoûté par le tranchant des reliefs et des crêtes, le jeu des contrastes lumineux de la haute montagne. Lors des opérations extérieures, j’ai été touché par la luxuriance de l’Afrique ou de la Guyane. Les esthétiques résistantes au cœur de Sarajevo ou de Kaboul dévastées. Surtout, j’ai pu intégrer le regard singulier des habitants sur les choses, convaincus de leur rareté et persuadés de former un tout avec elles.

Enfin, dans le commandement d’un Bataillon Logistique en Afghanistan composé d’individus tous uniques, j’ai été convaincu de la nécessité d’aiguiser chaque jour son regard. Encourager sans cesse les potentialités, saisir les opportunités, découvrir les talents insoupçonnés de chaque individu au sein d’une masse uniforme, malgré les tensions.

Comment te définis-tu en tant qu’artiste ? Parle-nous de ton univers.

La motivation profonde de ma démarche artistique provient du paradoxe de la condition humaine. Nous sommes animal mortel certes mais nous sommes capables l’espace d’un instant, d’appréhender ce qui semble ne pas être humain, ce qui dure, a toujours été, ce qui reviendra. Capables de frôler parfois l’éternité.

C’est ainsi que je suis mis à travailler des matières qui ont déjà eu une vie comme objet. Les transfigurant par la sculpture, je les ai imaginé traversés de lumière. Saisissements de ressentis enfouis, cristallisation de sensations instinctives qui transcendent notre condition temporelle, chaque sculpture est originale et unique.

Tu peux nous en dire davantage sur tes matières de prédilection et tes techniques de travail ? De l’idée à la réalisation, tu nous expliques ton processus de création ?

Dans mon processus créatif, je passe par plusieurs étapes. Je distingue de façon instinctive, souvent au sein d’une masse d’objets, une pièce, un matériau singuliers. Lentement, je touche, je scrute formes et structures, je change d’échelle et d’angle, j’évalue la force évocatrice, la symbolique des formes premières, le potentiel de l’objet.

Je conserve aussi systématiquement les cicatrices, son histoire passée. Ensuite je nettoie l’objet, je travaille une première fois la matière pour pouvoir renouveler le processus en intégrant ombres et lumières.

J’imagine des associations en travaillant sur les proportions, la répétition, les symétries avec d’autres objets singuliers ou bruts. Je renouvelle encore l’osmose avec les lumières et les ombres créées par mes éclairages.

Enfin tout au long du processus créatif, je cherche à libérer la sensation première éprouvée, nuancer celle-ci ou la livrer brute ou encore en engendrer d’autres.

Parle-nous de tes projets à venir

Mes recherches continuent de porter principalement  sur les points suivants :

  • l’ambivalence de la lumière qui guide, sauve, sculpte, apaise ou éblouit et aveugle ;
  • l’ambivalence des ombres créées qui peuvent être ténèbres, menace ou alors réconfort, refuge et lieu de recueillement ;
  • l’effet de l’éclairage sur une texture, une matière plus que l’éclairage lui-même ;
  • le triptyque sculpture-lumière-ombre et le travail possible sur plusieurs plans, ce que produit l’éclairage artificiel inclus dans mes sculptures : les jeux à la lumière naturelle du jour, les ombres projetées selon leur positionnement, les profondeurs créées, le changement de relief voire de nature une fois allumées ;
  • enfin la deuxième chance qu’offre ces sculptures aux objets que je travaille .

Il en est de même pour les êtres, pour moi-même. L’objet n’est pas ce qu’il est, ce qu’il a été ou ce pourquoi il a été créé mais ce qu’il pourra être. Tout est concentré dans la tension de son devenir.

Qu’est-ce qui fait la particularité de tes créations ?

Dans ce premier projet artistique, je souhaite offrir à chacun l’expérience de cette cristallisation temporelle. J’utilise des outils communs dans mon garage atelier. Je conserve le côté brut des matériaux, pas de soudure, de découpe laser, mais de lents décapages, de longs polissages.

Créer des ombres, éclairer sous tous les angles des matériaux qui ont absorbé mon idée. Ces sculptures montrent que le beau, le coté noble de la condition humaine se retrouve partout dans le quotidien. Il existe un autre monde fait de pièces perdues dans des monticules de ferraille. Des pièces parfois brisées, recouvertes de multiples peintures. Dans ce monde ci, les éléments sont à la portée de chacun. Si l’on scrute leur matière ils possèdent un potentiel de beauté parfois supérieurs à ce qui est précieux d’emblée.

J’ai voulu aussi apporter ma contribution pour faire face aux sirènes actuelles charmant l’animal urbain que nous risquons de devenir. Pour lutter contre leurs évolutions de la surconsommation. Et ne pas céder à l’asservissement aux choses comme dirait Georges Perec.

Quel objet insolite pourrait-on trouver dans ton atelier ?

Des pièces d’avions militaires de toutes les époques, des plaques de liège brut de mon village en Corse, des douelles centenaires d’anciens foudres de domaine viticole sculptées à la hachette.

Petit défi :  3 mots pour décrire ou définir tes créations

Instant, Rêve et Force.

Laisser un commentaire